Forfait jours : une sécurisation encore incertaine

par Marie Alice Jourde, avocat associé et Jessica Martin, avocat Cabinet La Garanderie & Associés

Création « Aubriesque » plébiscitée depuis 2000, le forfait jours concerne aujourd’hui près d’un million et demi de cadres autonomes hors horaire collectif de travail.

Au cours des dernières années, la relative sécurité juridique entourant cette modalité de décompte du temps de travail a été ébranlée par plusieurs décisions rendues par le Comité des droits Sociaux du Conseil de l’Europe dénonçant son absence de conformité vis à vis de la Charte Sociale européenne.

L’avenir même du dispositif étant le sujet de toutes les controverses, la Cour de Cassation a été amenée, dès 2011, à se prononcer sur sa validité, tout en resserrant, au gré des arrêts publiés, son étau autour de cette spécificité française.

C’est ainsi qu’après plusieurs avis de tempête, la foudre s’est abattue au printemps 2013 sur la branche d’activité Syntec (près de 700.000 salariés dont environ 55 % de cadres), la Haute Juridiction estimant que les garanties du respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires n’étaient pas assurées par le texte.

Face aux répercussions juridiques et financières d’une telle décision, les partenaires sociaux ont alors entendu sécuriser la situation, l’ensemble des conventions de forfait établies sur la seule base des dispositions de la convention de branche se trouvant exposées à la censure et par conséquent au risque de voir la durée du travail des intéressés décomptée pour le passé sur la base de 35 heures.

Aux termes d’un avenant du 1er avril dernier, dont l’entrée en vigueur est soumise à la publication d’un arrêté d’extension, de nombreuses garanties ont ainsi été fixées au niveau de la branche pour tenter de satisfaire au mieux les exigences européennes et jurisprudentielles (mise en place de plusieurs entretiens, dispositif contradictoire de décompte des jours travaillés, outil de suivi des temps de repos, obligation de déconnexion des outils de communication à distance etc.).

Si le message porté est d’inviter, à l’image de la branche Syntec, les entreprises à analyser leurs accords et leurs pratiques internes, rien ne saurait garantir que les nouvelles dispositions introduites couvriront la nullité des conventions de forfait passées, de telles dispositions ne pouvant, conformément au droit des contrats, produire effet pour le passé.

Quant à l’avenir lui même, rien ne saurait garantir, face au modèle européen et à la rigueur grandissante de la Cour de Cassation, que l’ensemble des nouvelles mesures fixées par les branches ou les entreprises seront jugées comme suffisamment protectrices.

Une intervention du législateur est ainsi vivement espérée puisqu’au-delà des risques financiers, le principe de sécurité juridique se trouve sensiblement bousculé.

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