Le nouvel esprit entrepreneurial : Interview de Pascal Faure

Par Ingrid Vaileanu, Interview Francophone

Interview de Pascal Faure, Directeur général de la DGE (Direction Générale des Entreprises)

Interview Francophone : Quel sera selon vous le modèle de l’entreprise du 21e siècle ?

Je suis convaincu qu’il n’y aura pas un modèle unique d’entreprise au 21e siècle mais bien plusieurs. Nous l’observons d’ailleurs déjà aujourd’hui : alors que notre économie s’est développée au 20e siècle autour de grand conglomérats industriels puis de services, nous constatons depuis les années 2000 une multiplication, avec un certain succès, des différentes formes de sociétés : start-up, entreprises de l’économie sociale et solidaire, mais aussi entrepreneurs individuels (microentreprises) dans des secteurs très variés (artisanat, consulting, etc..).

Il ne faudrait pas pour autant croire que c’est la fin des grandes entreprises : elles continueront à jouer un rôle crucial dans la structuration de notre économie. Elles sont par exemple seules à même de concevoir et produire les systèmes technologiques les plus complexes (aéronautique, spatial, nucléaire…), de porter des efforts d’investissement importants dans la durée, ou encore de réaliser les gains d’échelle les plus importants. Ce qui est résolument nouveau, c’est la « plasticité » de l’objet entreprise, qui s’adapte à un contexte économique et social nouveau, fortement marqué par l’irruption du numérique.

Des entreprises protéiformes, capables de s’adapter rapidement : ce sera, je crois, l’invariant du 21e siècle. Cette évolution va d’ailleurs de pair avec un renforcement du rôle social et environnemental des entreprises : beaucoup de ces dernières n’entendent plus limiter leur objet social à la recherche du profit, mais cherchent à inscrire leur action dans une perspective plus durable.

Grâce au projet de loi PACTE, le gouvernement souhaite, en suivant les recommandations de la mission menée par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat, redéfinir en ce sens la raison d’être de l’entreprise dans le Code civil.

Quelle place pour l’innovation dans l’entreprise de demain ?

C’est aujourd’hui une évidence, le terrain de jeu de nos entreprises est planétaire. Elles doivent donc se différencier, et seule l’innovation, continue, permet de se démarquer de la concurrence, au risque sinon de perdre des marchés ou de rogner ses marges.

La capacité d’innovation s’impose donc comme un facteur endogène de compétitivité des entreprises.

Beaucoup d’entre elles conçoivent d’ailleurs maintenant leur organisation pour «maximiser» cette capacité à penser différemment : des structures hiérarchiques aplanies pour développer l’esprit d’initiative, des espaces de travail et de réunion favorisant le travail en équipe et la co-construction, la promotion de l’intrapreneuriat, la création d’incubateurs de start-up au sein des entreprises…Pour autant, certains facteurs, culturels tels que la peur de l’échec, ou encore financiers, empêchent parfois nos entreprises de développer pleinement leur potentiel d’innovation, alors qu’il s’agit d’un enjeu majeur de compétitivité.

C’est pourquoi l’État a développé des programmes spécifiques afin d’encourager la création d’entreprise et de soutenir les entrepreneurs, et a mis en place des financements permettant d’accompagner les entreprises qui prennent des risques en investissant dans l’innovation. Cette dynamique sera encore renforcée avec la mise en place dès 2018 d’un fonds de 10mds € pour l’innovation et l’industrie, annoncée par le Ministre de l’économie et des finances.

La transformation numérique est-elle déjà achevée ou bien encore un enjeu pour le 21e siècle ?

Nous sommes loin d’avoir achevé notre transformation numérique ! Les défis (et donc les opportunités) devant nous sont encore nombreux, et je citerais pour cela 2 exemples :

• La couverture numérique du territoire est aujourd’hui encore imparfaite. À l’heure où tant de services publics et privés reposent sur internet, beaucoup de nos concitoyens, particulièrement dans les zones rurales, attendent légitiment un accès au haut débit, fixe et mobile. C’est une priorité forte du Président de la République et du gouvernement, qui ont fixé pour objectif d’apporter à toutes les entreprises et tous les foyers le bon haut débit en 2020 et le très haut débit en 2022 ;

• S’agissant des entreprises, nous souffrons malheureusement en France d’un retard par rapport aux autres pays européens en matière de numérisation de nos TPE/PME.

Par manque de compétence, de moyens ou d’accompagnement, elles ne peuvent toujours accéder aux bénéfices du numérique : mise en place d’un site internet et démarrage d’une activité commerciale en ligne, déploiement de logiciels de gestion au sein de l’entreprise, numérisation de la chaîne de production dans l’industrie…

L’État s’attache, en lien avec les Régions et les réseaux d’accompagnement des entreprises, à développer des démarches d’accompagnement vers la numérisation ciblées pour ces entreprises.

Pouvez-vous nous présenter une initiative emblématique selon vous de ces enjeux ?

La French Tech me semble être une initiative particulièrement emblématique. Ce programme a été lancé en novembre 2013 avec pour objectif de contribuer à faire de la France un pays innovant et propice à l’entrepreneuriat. Je souhaiterais souligner quelques caractéristiques:

• La French Tech s’adresse à tous les territoires : elle s’appuie sur un ancrage territorial, via 14 métropoles labellisées et distribuées sur le territoire. Cette implantation locale est essentielle et contribue à démontrer que l’innovation et l’entrepreneuriat ne sont pas réservés à quelques mégalopoles mondiales mais au contraire concernent tous les territoires.

• La French Tech s’adresse à tous : et c’est une des priorités nouvelles du gouvernement. Un programme dédié, French Tech Diversité, a été lancé en 2017 pour promouvoir la diversité sociale dans l’écosystème français.

• Surtout, au-delà des différents programmes d’accompagnement et de financement, ce programme a réussi à contribuer à changer les mentalités : les jeunes sont aujourd’hui fiers de créer ou rejoindre une start-up.

Et nous avons besoin de cet esprit entrepreneurial nouveau pour contribuer au redressement de notre économie.

Entretien paru dans Interview Francophone en avril 2018 

Paru dans CAP’IDF n°64