Les entreprises ont besoin de plus de flexibilité sur la durée du travail

Entretien avec Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris

BÂTONNIER DE PARIS DEPUIS LE 1er JANVIER, FRÉDÉRIC SICARD EST AUSSI ET AVANT TOUT UN ÉMINENT SPÉCIALISTE DU DROIT SOCIAL. SON REGARD SUR LA RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL ET PLUS LARGEMENT SUR LE RÔLE DE L’AVOCAT AUPRÈS DE L’ENTREPRISE, ÉCLAIRE D’UN JOUR NOUVEAU LE DÉBAT ACTUEL.
LES ENTREPRISES APPELLENT DE LEURS VŒUX UNE SIMPLIFICATION DU CODE DU TRAVAIL, DANS UN ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL QUI PARADOXALEMENT SE COMPLEXIFIE. EST-IL POSSIBLE DÈS LORS DE MENER À BIEN LA RÉFORME ?

Il ne suffit pas, pour paraphraser l’un de nos illustres Présidents, de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant “Simplification, simplification” pour bâcler la réforme du Code du Travail. Cette dernière est rendue nécessaire, non seulement au regard du chômage, mais surtout de l’empilement des textes voulu par nos dirigeants successifs qui ont cru que c’était par la loi que l’on créait de l’emploi.

Aujourd’hui, ces textes pléthoriques qui se répètent, s’annulent ou se contredisent, focalisent l’attention de tous par leur lourdeur et leur incompréhension, en faisant perdre de vue la réalité du monde du travail et sa nécessaire protection. Ainsi, à titre d’exemple, presse et médias s’interrogent sur le maintien ou pas de la durée légale du travail à 35 heures, est-ce vraiment l’essentiel ? La vraie question est bêtement celle des prétendues heures supplémentaires.

La réalité de l’entreprise n’est pas la durée légale du travail, mais le contrôle de ce dernier et le paiement de la rémunération afférente.

POUR ÊTRE PLUS EFFICACE EN LA MATIÈRE, NE FAUDRAIT-IL PAS PRIVILÉGIER UNE HARMONISATION EUROPÉENNE ?

Les entreprises ont besoin de plus de flexibilité sur la durée du travail. Il suffit juste de prévoir les modalités de comptabilisation du temps au regard du respect des

règles européennes et le paiement afférent à ce travail effectué. Cet exemple est emblématique de la dérive d’une réflexion plus théorique que pragmatique. Il nous faut sortir des postures, avoir effectivement un regard européen et surtout rester pratiques.

“NOUS ALLONS NOTAMMENT RENFORCER LA FORMATION INTERDISCIPLINAIRE DES AVOCATS PARISIENS AU SERVICE DES ENTREPRISES À AUDITER ET À ACCOMPAGNER. ”

COMMENT VOYEZ-VOUS ÉVOLUER LE RÔLE DE L’AVOCAT AUPRÈS DES ENTREPRISES ET QUELS SONT VOS PROJETS POUR LE BARREAU D’AFFAIRES ?

Notre priorité sera de favoriser et de valoriser l’activité du barreau parisien au service des entreprises et des entrepreneurs. Je suis absolument persuadé qu’il a déjà

tout son poids dans le conseil, l’audit et la réflexion stratégique, mais je suis également persuadé que l’on peut faire encore plus, notamment auprès des PME. Nous pouvons le faire en faisant écho à la politique de développement économique qu’appelle de ses vœux le gouvernement actuel, à savoir en créant un statut de correspondant à l’intelligence économique, à l’information, à la stratégie et à la sécurité économique dans ces entreprises.

Cela supposera évidemment de renforcer les moyens du point de vue de la déontologie, c’est-à-dire en termes de secret, de conflits d’intérêts et de niveau de formation, mais cela permettra à terme de valoriser le rôle stratégique des avocats auprès des PME ainsi que leur prestation, puisque tout cela ne peut se faire que contre rémunération.

Ce statut a été voté par le Conseil de l’Ordre parisien du 9 février 2016. Nous allons notamment renforcer la formation interdisciplinaire des avocats parisiens au service des entreprises à auditer et à accompagner.

QUELLE EST VOTRE POSITION VIS-À-VIS DE L’AVOCAT EN ENTREPRISE ?

Je ne me laisserai pas entraîner dans le débat sauf si l’on parvient à sortir des postures et s’il n’y a pas de passage en force. Rien ne doit aboutir tant que la majorité des avocats n’est pas d’accord. De mon point de vue, ce statut ne peut exister que si des projets de contrats très précis sont élaborés.

L’autre possibilité serait de ne conserver que le titre d’avocat en entreprise, sans la déontologie, comme en Allemagne. Mais quoi qu’il en soit, si l’on force la main de ma profession de quelque manière que ce soit, je n’hésiterai pas à défiler dans la rue. On ne peut accueillir sereinement de nouveaux avocats parmi nous si nous les accueillons en force.

COMMENT COMPTEZ-VOUS FAVORISER L’ESPRIT ENTREPRENEURIAL CHEZ LES JEUNES AVOCATS ?

Du concret et encore du concret ! Nous développerons les cours de management à l’École de Formation du Barreau et nous nous préparons également à en faire en formation continue.

Nous renforçons la place du Barreau Entrepreneurial, service de l’Ordre, qui accompagne et favorise la création de cabinets. Nous avons d’ores et déjà reconduit les activités de coaching aux avocats qui souhaitent se lancer.

Nous avons approché trois groupes bancaires pour négocier des produits financiers susceptibles d’être proposés aux avocats parisiens.

Enfin, comme je m’y étais engagé, nous lancerons le fonds de soutien créatif avant le printemps. Ce fonds, qui pourra apporter un petit coup de pouce financier aux avocats entrepreneurs, leur demandera en contrepartie d’améliorer leurs études de faisabilité.

Nous essayons de multiplier les actions sans tabou.

 

Paru dans CAP’IDF n°57