Sécuriser les contrats de sous-traitance en Inde

Maudhuit-1-Grd

Par Sylvie Maudhuit
Cainet Howrey, Paris

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 janvier 2010 dans l’affaire du cartel du négoce de produits sidérurgiques a laissé certains conclure que la crise économique était en France en voie d’être une cause de justification d’un cartel. Sylvie Maudhuit, avocate associé au cabinet Howrey LLP, conclut non seulement que cette lecture de l’arrêt est infondée mais qu’au vu de la politique particulièrement dure des autorités de concurrence nationales et européennes à l’encontre des cartels, les entreprises françaises ne doivent pas relâcher leurs investissements dans des programmes de « compliance » en temps de crise.

Par un arrêt du 19 janvier 2010, dans l’affaire du cartel du négoce de produits sidérurgiques, la cour d’appel de Paris a divisé par huit le montant total des amendes prononcées par le Conseil de la concurrence (depuis mars 2009, Autorité de la Concurrence ou « AdlC »), jugeant que ce dernier n’avait pas suffisamment tenu compte dans les sanctions qu’il prononçait de la situation de crise économique que traversait le secteur concerné au moment de la mise en œuvre du cartel. Pour rappel, en décembre 2008, le Conseil de la concurrence avait prononcé de très lourdes amendes à l’encontre de onze entreprises du négoce de produits sidérurgiques pour s’être entendu sur les prix et la répartition des marchés en violation de l’article 101(1) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (le « Traité ») qui interdit les accords et pratiques concertés entre concurrents. Les motivations de l’arrêt laissèrent certains quotidiens affirmer que le juge français avait ouvert la voie aux « cartels de crise », c’est-à-dire à la possibilité que la crise économique puisse être une cause de justification d’un cartel permettant ainsi aux entreprises d’éviter l’imposition d’amendes. Cependant, une lecture attentive de l’arrêt et de la jurisprudence applicable permet de conclure que ces affirmations sont infondées.

1 – Les cartels de crises restent interdits en France et dans l’Union Européenne

Le droit européen de la concurrence applique une politique de tolérance zéro vis-à-vis des cartels. Les cartels sont des infractions « très graves » à la concurrence, en violation absolue de l’article 101(1) du Traité. C’est pourquoi, bien qu’à l’apogée de la crise économique à la fin de l’année 2008 la Commission européenne s’était montrée prête à assouplir sa politique décisionnelle en matière de contrôle des concentrations et d’aides d’état, cette dernière n’a jamais en revanche accepté que la crise économique puisse être une cause d’exemption de pratiques anticoncurrentielles comme les cartels. Au contraire, la Commission européenne est restée intraitable, répétant inlassablement que, face à la tentation d’assouplir l’application des règles de concurrence en temps de crise, l’unique réponse adéquate était de les appliquer avec la plus grande sévérité car les cartels ne font qu’aggraver le dommage à l’économie. Les amendes imposées par la Commission européenne aux cartellistes ont d’ailleurs explosé ces cinq dernières années (par exemple, en 2008, dans l’affaire du cartel des producteurs de verre automobile, la Commission européenne infligea à la seule entreprise Saint Gobain une amende record de 896 million d’euros). Le juge européen de son côté n’a jamais admis que la crise économique puisse être une cause d’exemption de l’application de l’article 101(1) du Traité aux ententes. Quant au juge national, en matière de concurrence, l’application du Traité l’oblige à appliquer la jurisprudence édictée par le juge européen. Par conséquent, il ne peut exempter un cartel de l’application des règles de concurrence sur le seul fondement de la crise économique.

Pour revenir à l’arrêt du 19 janvier 2010, la cour d’appel de Paris a confirmé l’analyse du Conseil sur l’existence de l’entente, la participation des entreprises concernées à l’entente et le principe de l’imposition d’amendes sur ces entreprises. Le juge français a donc respecté le droit européen de la concurrence et n’a ni validé, ni ouvert la porte aux « cartels de crise », contrairement à ce qu’ont annoncé certains quotidiens. L’interdiction des cartels de crises reste donc toujours fermement d’actualité en France.

2 – C’est la capacité contributive individuelle de l’entreprise, et non la crise économique en elle-même, qui peut venir modérer le montant de l’amende ou permettre l’échelonnement du paiement de l’amende.

En réalité, l’arrêt du 19 janvier 2010, en réformant radicalement le volet de la décision du Conseil de la concurrence relatif au calcul du montant des amendes, n’a fait qu’exprimer le principe selon lequel, en application du principe de proportionnalité, l’AdlC doit adapter le montant de l’amende à la capacité contributive individuelle de l’entreprise, surtout si celle-ci a été affectée par une crise économique. Mais, un arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2010 énonce clairement que la simple preuve que le secteur concerné traverse une crise ne suffira pas à convaincre le juge français de réduire l’amende. En d’autres termes, ce n’est que dans le cas où la crise impacte négativement la capacité contributive individuelle de l’entreprise qu’elle pourra être prise en compte dans le calcul de l’amende. La position actuelle du juge français ne fait que refléter la position officielle de la Commission européenne dans ses lignes directrices de 2006 sur le calcul de l’amende qui donne la possibilité à cette dernière de réduire l’amende en cas d’« absence » de capacité contributive de l’entreprise. Pourtant, si une entreprise française devait se retrouver face à la Commission européenne dans une affaire de cartel, elle ne devrait pas se risquer à compter sur cette disposition, car contrairement au juge français, la Commission européenne fait preuve d’une beaucoup plus grande sévérité et n’a jamais accepté d’appliquer cette disposition à ce jour.

Enfin, au stade du paiement de l’amende, et avant même d’introduire un recours contre la décision de l’AdlC, l’entreprise pourra bénéficier d’un échelonnement du paiement de l’amende si elle fait valoir que sa capacité contributive est atteinte. C’est ainsi que le Conseil de la concurrence avait autorisé les entreprises participantes au cartel du négoce des produits sidérurgiques à bénéficier de moratoires pour le paiement de l’amende. Si cette option est valable en France, la situation n’est pas aussi claire au niveau européen. Les lignes directrices de la Commission européenne de 2006 sur le calcul de l’amende ne mentionnent pas la possibilité de recourir à un échéancier pour le paiement de l’amende. Ce n’est qu’une fois que l’entreprise a introduit un recours contre la décision de la Commission européenne que le juge européen peut dispenser la partie requérante de constituer une garantie bancaire (1). Le juge européen applique cependant cette dispense de façon restrictive, exigeant de la requérante la preuve que la constitution de la garantie bancaire mettrait en péril son existence.

3 – Les programmes de compliance restent des investissements vitaux pour les entreprises

En conclusion, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 janvier 2010 n’appelle pas à un relâchement des programmes de compliance des entreprises (2). En effet, cet arrêt n’admet pas que la crise économique puisse être un motif d’exemption des cartels au regard du droit de la concurrence. Le juge français a reconnu, tout au plus, que la crise peut être un facteur de modération du montant de l’amende mais seulement dans le cas où celle-ci affecte négativement la faculté contributive individuelle de l’entreprise.

Au vu de la politique particulièrement dure des autorités de concurrence nationales et européennes à l’encontre des cartels, il reste vital que les entreprises françaises continuent à investir en matière de compliance. Spécialement, en temps de crise économique où les sirènes des cartels se font entendre avec plus de force, il devient particulièrement important pour les entreprises d’éduquer leurs salariés, et notamment leurs dirigeants, sur le danger de la participation à une entente et du montant astronomique des amendes qu’ils risquent de faire encourir à leur entreprise. La mise en place et l’investissement continue dans un programme de compliance restent des gestes de prévention adéquats à ce risque concurrentiel et permettra de mobiliser les dirigeants et les salariés autour du respect des règles de concurrence. Les entreprises en France seront d’autant plus encouragées à mettre en œuvre de tels mécanismes de contrôle que l’AdlC a clairement indiqué qu’elle était prête à faire preuve d’indulgence lors du calcul de l’amende si les entreprises s’engageaient à adopter de tels instruments de façon effective.

(1) La Commission européenne accepte, dans les cas où les entreprises concernées introduiraient un recours devant le juge européen contre sa décision, de ne pas procéder à des mesures de recouvrement de l’amende tant que l’affaire reste pendante, à condition que ces dernières constituent une garantie bancaire.
(2) Le terme compliance désigne les activités et les programmes mis en place par les entreprises pour respecter le droit de la concurrence et diffuser la culture de la concurrence en leur sein.