Nous sommes face à un défi existentiel que l’europe doit relever

INTERNATIONAL / EUROPE

Entretien avec FABRICE LE SACHÉ

Vice-président du MEDEF en charge de l’Europe

FABRICE LE SACHÉ
FABRICE LE SACHÉ

Le rapport Draghi a clairement mis en lumière le manque de compétitivité de l’Europe et son décrochage face aux États-Unis et à la Chine. Les propositions avancées pour y remédier vous semblent-elles à la hauteur des enjeux ? Ce rapport appelle à un électrochoc pour enrayer le déclin de la compétitivité de l’Europe face aux États-Unis et à la Chine et mettre en place les réformes pour qu’elle redevienne une grande puissance économique. Une ambition que le MEDEF avait appelé de ses vœux lors de la campagne pour les élections au Parlement européen. Nous sommes face à un défi existentiel que l’Europe doit relever. Il s’agit avant tout d’accélérer l’innovation pour réduire l’écart de compétitivité avec les autres blocs, d’acter un plan pour la décarbonation et de limiter notre dépendance dans les technologies et les matières premières. En appelant à un changement radical et à faire le choix de la croissance par l’investissement, le rapport Draghi rejoint nos positions présentées dans les « 30 propositions pour une Europe qui entreprend ». Elles s’inscrivent dans la nécessité de renouer avec la compétitivité pour assurer l’autonomie stratégique de l’Union et inverser le déclin des grandes économies européennes.

Les investissements nécessaires à ce redressement sont colossaux. Comment les financer ? Pour que l’Europe joue avec les mêmes cartes que ses concurrents, il faudra investir près de 800 Mds € supplémentaires. Nous partageons l’analyse de Mario Draghi sur la compétitivité de l’Europe. Pour redresser la situation, les États membres doivent travailler sur les modalités de ces investissements : budget européen, fonds souverain pour les technologies stratégiques, Conseil européen de l’innovation (EIC)… Face à une économie largement financée par le crédit bancaire et des marchés de capitaux peu développés, l’Europe doit répondre aux besoins croissants de la double transition numérique et écologique. Dans ce contexte, l’union des marchés de capitaux constitue un élément clé de notre stratégie globale de compétitivité. Par conséquent, la majeure partie du déficit d’investissement devra être couverte par l’investissement privé.

Notre compétitivité dépend de notre capacité à créer des géants européens. Dans ce cadre, il semble impératif de faire évoluer le contrôle des concentrations et de l’adapter aux enjeux du paysage concurrentiel actuel.

Les premières orientations de la nouvelle Commission européenne, sont-elles de nature à redresser la barre ?

Les cent premiers jours de la prochaine Commission européenne seront déterminants pour concrétiser cette promesse de compétitivité. Parmi les dossiers prioritaires, le Pacte pour une industrie verte représente un chantier clé pour relancer les investissements dans les industries à forte intensité énergétique. La nécessité d’investir dans la nouvelle économie va dans le sens des propositions que nous avons formulées. Dans les prochains mois, l’adoption du Cadre Financier Pluriannuel fixera les grands axes des politiques européennes, notamment avec la création d’un futur Fonds européen pour la compétitivité, auquel nous serons très attentifs. En outre, des discussions sur la défense devraient débuter dès les 100 premiers jours de la nouvelle mandature. Dans ce cadre, la France souhaite que l’UE investisse davantage dans la défense sous forme d’obligations. Cette idée fait écho à notre proposition de créer un plan de soutien massif à l’industrie européenne dans ce domaine. L’ensemble de ces priorités semblent à la hauteur des futurs enjeux.

Que ce soit en matière de concurrence ou de contrôle des concentrations, l’Europe ne fait-elle pas preuve de trop d’angélisme ?

L’ère de la naïveté européenne est révolue. Les enquêtes en matière de droits douaniers initiées par l’Union vis-à-vis de la Chine attestent de ce changement. Face à l’émergence de monopoles américains et chinois, l’Europe doit resserrer les rangs. Il existe cependant un paradoxe dans les règles de concurrence européenne. Le traité sur le fonctionnement de l’Union défend le principe d’un marché concurrentiel où les entreprises opèrent sur un pied d’égalité et où les consommateurs bénéficient de prix compétitifs et de choix variés. Or, ce principe qui interdit les situations monopolistiques, n’est pas de nature à favoriser l’émergence de champions européens. Notre compétitivité dépend de notre capacité à créer des géants européens. Dans ce cadre, il semble impératif de faire évoluer le contrôle des concentrations et de l’adapter aux enjeux du paysage concurrentiel actuel. Les procédures de contrôle des concentrations doivent mieux prendre en compte les gains d’efficience grâce à une approche plus globale des marchés. Compte tenu des nombreux cas de distorsions de concurrence, l’UE s’est dotée d’un arsenal réglementaire pour rétablir des conditions de concurrence équitables, qu’il importe de différencier du protectionnisme, un principe auquel nous sommes opposés. À l’instar du « Buy American Act » adopté en 1933, nous défendons le principe de préférence européenne, un « Buy European Act ».

Quel rôle le MEDEF entend-il jouer dans les prochains mois sur ces questions européennes ?

Le siècle qui s’ouvre est celui d’une compétition inédite où l’Europe doit prendre impérativement la mesure des enjeux et agir. Nous veillerons à ce que l’Europe prenne le virage de la compétitivité et continuerons à défendre la voix des entreprises auprès des décideurs européens. Nos leviers d’actions reposent sur un renforcement de notre présence à Bruxelles, une stratégie d’influence ciblée auprès des institutions européennes pour influencer les processus décisionnels, au travers d’échanges réguliers avec les acteurs clés dans chacun des États membres. Des contacts fréquents sont engagés avec les directeurs généraux de la Commission pour nouer ou consolider des relations régulières et intervenir en amont des discussions législatives.

L’union des marchés de capitaux constitue un élément clé de notre stratégie globale de compétitivité.

Paru dans #MagCAPIDF