Santé au travail : Le harcèlement moral

par Florence Froment-Meurice, avocat associé, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral

florence-froment-meurice_grandDans son mouvement de reprise du contrôle de la notion de harcèlement moral, la Cour de cassation a utilement rendu récemment un certain nombre d’arrêts venant poser, éclairer ou redéfinir les contours de la définition de ce concept hautement conflictuel. Une œuvre bienvenue en ces temps où la réflexion est rendue confuse par une abondante littérature sur les risques psychosociaux.

Lorsque le législateur a introduit, pour l’interdire, la notion de harcèlement moral dans le code du travail en 2002, il a pris soin d’en donner une définition très large, afin de viser des situations pouvant revêtir des formes très diverses. Le contentieux est alors monté en puissance d’une telle façon que la Cour de cassation s’est vue contrainte d’exercer un contrôle de qualification. Expliquant qu’il lui apparaissait nécessaire d’harmoniser les pratiques des cours d’appel et de préciser certaines règles, notamment en matière de charge de la preuve, la Cour a pris le contrôle de la notion depuis plusieurs arrêts du 24 septembre 2008. En d’autres termes, elle contrôle elle-même si les faits établis par le salarié sont de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral.

C’est ainsi qu’elle a rendu plus d’une centaine d’arrêts sur le sujet en quelques mois (119 du 24 septembre 2008 au 7 juillet 2009), et qu’elle poursuit depuis une œuvre de renforcement de son contrôle, face à une doctrine réservée et à des juges du fond résistants.

Parmi les nombreux enseignements tirés de cette remarquable activité jurisprudentielle, on retiendra ceux qui viennent éclairer la définition de la notion, que le Législateur de 2002 nous a ainsi léguée : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »

On a pu relever que les principales solutions adoptées étaient conformes à l’état actuel de la législation. C’est ainsi que la Cour a clairement censuré les interprétations extrapolées du texte en posant ou rappelant les principes suivants :

  • Le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur :

Dès lors que « sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel », le juge du fond n’a pas à rechercher une éventuelle intention délibérée de la part du harcelant.

Si ce principe est parfaitement conforme à la définition légale, -qui ne mentionne aucune intention-, son affirmation forte par la haute Cour vient bouleverser l’appréhension majoritaire que les juges du fond avaient jusque là de la notion de harcèlement au travail; elle crée également une divergence compliquée avec sa jumelle l’infraction pénale.

Soc., 2 février 2011

  • Les agissements constitutifs de harcèlement moral doivent être répétés :

Une seule décision (en l’espèce une rétrogradation) ne peut caractériser un harcèlement moral, quand bien même son maintien ait conduit l’employeur à prendre divers actes en conséquence de cette décision (bulletins de salaire successifs prenant acte de la rétrogradation sur la qualification et le salaire, plusieurs refus opposés aux courriers de contestation de la salariée…).

De même, « des propos vexatoires, même inappropriés et inexacts, prononcés lors d’une réunion ne pouvaient à eux seuls caractériser les agissements répétés constitutifs de harcèlement moral .

Soc., 9 décembre 2009
Soc., 6 octobre 2010

  • La nécessité d’agissements répétés n’implique pas pour autant que le harcèlement ne puisse être constitué qu’après écoulement d’une certaine période :

Cassant l’arrêt ayant retenu que les évènements exposés par le salarié s’étaient déroulés « au cours d’une très brève période de temps » pour écarter la caractérisation d’un harcèlement moral, la Cour affirme « qu’il résulte de l’article l.1152-1 du code du travail que les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période » , en l’espèce deux mois.

Soc., 26 mai 2010

  • Les conséquences de la « dégradation des conditions de travail » sont alternatives :

Répondant au moyen soulignant que la dégradation des conditions de travail alléguée par la salariée ne créait aucune atteinte à la dignité, la Cour confirme l’existence d’un harcèlement au motif que « le premier juge a constaté que les agissements de l’employeur avaient altéré la santé de la salariée » .

Dans l’autre sens, l’absence d’altération de la santé ou de démonstration d’un lien entre la dégradation de l’état de santé et les conditions de travail ne suffit pas à écarter la reconnaissance d’un harcèlement moral .

Soc.,10 mars 2010
Soc., 30 avril 2009

Ainsi, la Cour épure les pratiques des juges du fond pour redessiner une définition strictement collée au texte légal. Elle écarte les extrapolations couramment présentes dans les décisions de fond selon lesquelles, pour caractériser un harcèlement moral il fallait constater :

  • une intention de nuire,
  • animant une personne physique déterminée,
  • pendant une période assez longue,
  • résultant en une atteinte aux droits et à la dignité et en une altération de la santé de la victime.

En revanche, les hauts magistrats se sont affranchis de la lettre du Code pour prendre des positions fortes sur l’appréciation de la dégradation des conditions de travail d’une part et sur le harcèlement managérial d’autre part.

  • La « dégradation des conditions de travail » se libère de ses éléments matériels :

La cour d’appel qui a retenu que le salarié en arrêt de maladie prolongé avait reçu de nombreuses lettres de mise en demeure injustifiées évoquant de manière explicite une rupture du contrat de travail et lui reprochant ses absences a pu décider que ces faits caractérisaient l’existence d’un harcèlement moral. Ainsi les effets des agissements répétés sur les conditions de travail peuvent être appréciés hors du contexte de l’exécution du contrat de travail .

Soc., 7 juillet 2009

  • Le harcèlement peut être « managérial » :

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail.

Soc., 19 janvier 2011, Soc., 27 octobre 2010

Compte tenu de l’importance du contentieux, on peut gager que d’autres décisions sont à venir et la Cour poursuit son œuvre en la matière. A suivre donc.