« Il faut inscrire la France dans une dynamique d’investissement et d’innovation sur le long terme » – entretien avec Marc Touati

Article paru dans #MagCAPIDF, août 2020

Économiste, CEO ACDEFI et auteur du livre « RESET – Quel nouveau monde pour demain ? », Marc Touati nous livre son analyse de la situation française et des perspectives à l’international.

L’État a déjà dévoilé de multiples plans de soutien aux secteurs d’activité les plus affectés par la crise, mais quels doivent être selon vous les axes stratégiques d’une relance durable de notre économie ?

Malheureusement, comme cela s’observe depuis des décennies dans notre beau pays, les mesures et la valse des milliards annoncées par les pouvoirs publics risquent surtout de servir à colmater les brèches. Bien sûr, compte tenu de l’ampleur des dégâts économiques et sociaux, il est indispensable d’éteindre l’incendie, notamment en limitant l’augmentation massive du chômage, qui a d’ailleurs déjà commencé.

Néanmoins, le « bon plan » de relance ne doit pas se contenter de distribuer des aides en espérant que le pire sera évité. Non, un plan de relance efficace est celui qui inscrit la France dans une dynamique d’investissement et d’innovation sur le long terme.

Pour ce faire, il faut moderniser notre économie au travers d’une « thérapie de choc bienveillante » autour de ces cinq piliers :

  1. Baisser massivement la pression fiscale pour tous, les entreprises et les ménages.
  2. Optimiser la dépense publique, en réduisant les dépenses de fonctionnement qui ont augmenté de 120 milliards d’euros au cours des douze dernières années. En revanche, il ne faut surtout pas baisser les dépenses d’investissement et/ou de santé.
  3. Il sera également indispensable de réduire le coût du travail, non pas évidemment en abaissant les salaires, mais en réduisant d’au moins 15 % les charges qui pèsent sur ces derniers.
  4. La France devra également moderniser son marché du travail en simplifiant drastiquement le code du travail.
  5. Enfin, dans cette France modernisée, il faudra également favoriser le financement des entreprises et de l’innovation, notamment en assouplissant les règles prudentielles qui pèsent sur les banques et en facilitant la création de fonds d’investissement.

Comment reconstruire notre tissu industriel dont les failles sont apparues criantes ?

Ne l’oublions jamais : ce n’est pas la mondialisation qui a engendré, à elle seule, le chômage en France et en Europe, ni les entreprises françaises qui ont favorisé la désindustrialisation de l’Hexagone. Ces mouvements ne sont que des conséquences logiques des erreurs accumulées au cours des années 1990 et 2000 par les dirigeants européens et français : augmentation de la pression fiscale, exacerbation des rigidités réglementaires, notamment sur le marché du travail, 35 heures, mauvaise adéquation des formations scolaires et universitaires avec les besoins des entreprises, mauvais choix stratégiques en matière de R&D… Autant d’évolutions qui ont immanquablement entraîné la France sur le chemin de la fuite de ses entreprises industrielles. Pour inverser la tendance, il faut donc commencer par corriger toutes ces erreurs publiques.

Le plan européen de relance est-il à la hauteur des enjeux et quels bénéfices peut-on en attendre pour la France ?

N’ayant cessé de demander une augmentation massive du budget européen depuis des années, ce plan de relance va évidemment dans le bon sens. Pour autant, il se contente d’essayer de calmer le jeu temporairement sans résoudre les origines du mal, à savoir l’insuffisance d’investissements innovants et plus globalement l’absence de croissance économique durablement forte et saine. Ainsi, tant que l’Union européenne et la zone euro ne seront pas dotées d’une véritable gouvernance économique efficace tant en matière de croissance que de sérieux budgétaire, la crise ne pourra prendre fin.

En matière d’emploi, comment limiter le « coup social » qui s’annonce déjà très lourd ?

Malheureusement, lors d’un tsunami, c’est lorsque l’eau se retire que l’on mesure vraiment l’ampleur des dégâts. Et, dans le cas présent, ces derniers seront forcément énormes : dépression économique, faillite d’entreprises, flambée du chômage, augmentation de la pauvreté et des tensions sociales … D’ores et déjà, les plans de licenciement ne cessent de se multiplier. Et ce n’est pas en créant de nouveaux emplois jeunes que nous allons éviter le « coup social ». Seule une stratégie de long terme, basée sur l’innovation, l’investissement, la formation et la croissance est susceptible d’améliorer la situation.

Pour maintenir l’attractivité de nos entreprises à l’international, ou faciliter les relocalisations, la baisse des impôts de production doit-elle être envisagée ?

Oui, tout à fait et c’est d’ailleurs ce qui a été décidé à juste titre par le gouvernement Castex Cependant, pour transformer l’essai, il faut aussi appliquer les réformes évoquées plus haut dans ma « thérapie de choc bienveillante ».

Avez-vous des craintes sur le niveau d’endettement des entreprises et notamment celui des PME ?

La dette n’est pas un problème à une condition : qu’elle soit soutenable, c’est-à-dire qu’elle génère suffisamment d’activité et de bénéfices pour rembourser les intérêts de la dette. Sinon, elle constitue une fuite en avant très dangereuse et très coûteuse pour l’avenir de nos entreprises et de notre société au sens large. Là aussi, tout dépend du retour de la confiance et de la croissance au travers d’un électrochoc de politique économique. Et nous en sommes encore loin.

Quelles sont les perspectives pour l’économie mondiale ?

Malheureusement, la France, l’Europe, les États-Unis et le monde dans son ensemble vont connaître leur plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale, avec des baisses annuelles du PIB de respectivement 10 %, 9 %, 6 % et 4,5 %.

Pour autant, ne baissons pas les bras, les crises sont toujours des phases d’opportunités, en particulier pour les entreprises. Pour sortir de la crise par le haut, ces dernières doivent donc mettre en place des stratégies audacieuses.

  1. Se positionner sur des niches et des savoir-faire particuliers.
  2. Développer la communication autour de ceux-ci.
  3. Miser sur l’innovation à tous les niveaux.
  4. Adopter une stratégie de rayonnement international.

 

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