Licencier pour motif économique : une voie étroite mais incontournable

par Florence Froment-Meurice, avocat associé au cabinet Cotty Vivant Marchioso & Lauzeral, spécialisée en droit social

Le licenciement économique et le juge ne font pas bon ménage.

Si les licenciements économiques représentent moins de 10% des affaires portées devant les conseils de prud’hommes, ils sont en revanche à n’en pas douter ceux qui comptent le plus d’écueils judiciaires. Devant le juge prud’homal, justifier un licenciement économique résultant d’une réorganisation de l’entreprise tient de l’ascension de l’Everest.

Quant au juge de la relation collective de travail, il est allé récemment jusqu’à étendre son contrôle sur la légitimité des décisions du chef d’entreprise, par le biais du contrôle de la cause économique présentée par l’entreprise. Dans des décisions très médiatiques, l’extension de son contrôle a pu conduire le juge à annuler des procédures de consultation de comités d’entreprise au motif que la mesure de licenciement envisagée reposait sur une cause économique défaillante (Cour d’appel de Paris 12 mai 2011 affaire Vivéo) ou inexistante (Cour d’appel de Reims 3 janvier 2012 affaire Sodimédical).

Au-delà de ces exemples frappants et excessifs, les cours d’appel ne font pas mystère de leur sévérité dans l’appréciation des mobiles de l’entreprise et du caractère strict de leur contrôle juridique dès qu’un licenciement économique est en question.

Ainsi, le licenciement économique est un cauchemar judiciaire pour l’entreprise. Pourtant, il correspond à une nécessité et répond à une réalité ; il ne s’agit pas seulement d’une prérogative de l’employeur mais aussi d’une obligation à sa charge : combien de licenciements pour motif personnel sont contestés parce qu’ils « déguisent » une réalité économique ? La voie du licenciement économique est certes étroite, mais elle est balisée et doit parfois être la seule à être empruntée.

Le groupe Dentressangle l’a appris à ses dépens, qui a utilisé une vingtaine de ruptures conventionnelles pour gérer la nécessité de réduire ses effectifs, ruptures qui auraient du être prises en compte pour apprécier la régularité de la procédure suivie et le respect de ses obligations en matière de plan de sauvegarde de l’emploi (Cass.Soc., 9 mars 2011).

Quant à la société ITM, qui comptait utiliser son accord de GPEC pour procéder à des suppressions de postes, le juge l’a contrainte à les intégrer dans un projet de licenciement collectif pour motif économique qu’elle avait initié par ailleurs (Cour d’appel de Paris 12 octobre 2011).

Quelle que soit la légitimité de ces décisions, elles rappellent que le licenciement économique est un passage étroit mais parfois obligé.

Dès lors, quels en sont les écueils ? A quoi s’attache le juge ?

D’abord à l’intention qui soustend la mesure : le contrôle de l’intention. En cas de difficultés économiques avérées, le licenciement économique doit être la mesure du dernier recours, celle qui est envisagée après avoir examiné et/ou essayé toutes les autres. L’entreprise y est
contrainte car les autres mesures de son plan de redressement sont insuffisantes pour faire face à la situation.

En cas de difficultés économiques prévisibles, le licenciement économique doit permettre de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise et de prévenir davantage de licenciements. Il s’agit de résister à une menace qui emporterait des conséquences encore plus défavorables
sur l’emploi si elle n’était pas contrecarrée.

La menace doit être concrète. L’idée de se préparer à l’avenir et de réorganiser son entreprise pour améliorer sa rentabilité, ou pour remettre en cause une situation acquise trop favorable aux salariés par exemple, n’est pas acceptée par le juge comme fondant légitimement des licenciements économiques. Se réorganiser au motif de « la bonne gestion de l’entreprise », ou « d’un motif structurel lié à la bonne intégration de la société à un groupe » ne justifie pas non plus de procéder à des licenciements.

Pour suivre sans embûche la voie étroite de la sauvegarde de compétitivité, il y aura lieu de pouvoir caractériser une menace réelle, tangible, en faisant état de parts de marché perdues ou en voie de l’être, d’une activité en baisse pour des raisons exogènes irrépressibles, d’une dégradation de la situation financière venant compromettre des investissements indispensables, ou de tout autre élément qui permettra de démontrer la réalité d’une menace plus importante encore sur les effectifs restants.

Ensuite à la nécessité qui habite la mesure : le contrôle de la nécessité. Le licenciement économique doit avoir pour strict effet d’atteindre le but poursuivi, but qui aura été contrôlé en amont de la réflexion du juge puisque devant répondre à l’une des « causes économiques » acceptées. Plus que nécessaire, le licenciement économique est en réalité indispensable à l’obtention du but poursuivi.

« La Cour d’appel qui a constaté que la compétitivité de l’entreprise était menacée par l’évolution du marché des gants de protection, entraînant une baisse constante de sa clientèle et une dégradation régulière de son chiffre d’affaires, et qui a fait ressortir que cette évolution affectait également le secteur d’activité du groupe sur lequel elle intervenait, a pu en déduire que l’arrêt de la fabrication de ces produits et la réduction d’effectifs qu’il impliquait étaient nécessaires pour prévenir des difficultés à venir » (Cass.Soc.,8 novembre 2011).

Enfin, au contexte qui origine la mesure : le contrôle de la situation. Si l’entreprise fait partie d’un groupe, le juge devra être mis en mesure d’apprécier la raison du licenciement économique au regard de tout le secteur d’activité du groupe concerné, sans limitation géographique. Et si, au sein du groupe, l’entreprise est en réalité à ce point soumise aux injonctions de la société mère qu’elle en perd totalement son autonomie de décision, le licenciement économique qu’elle mettra en oeuvre pourra être invalidé parce que procédant d’une légèreté blâmable, argument qui a permis à la Cour de cassation de contourner l’autonomie du motif de cessation d’activité dans le dossier Goodyear (Cass.Soc., 1er fevrier 2011).

Il pourra également être remis en question quand la société mère est reconnue coemployeur,
puisqu’alors la cause économique aurait du être commune aux deux entreprises (Cass.Soc.,18 janvier 2011).*

Certes, le chemin du licenciement économique est étroit, mais il vaut mieux le préparer et le suivre quand il doit l’être que de le contourner à tout prix au risque d’augmenter encore l’insécurité et l’incompréhension qui vicient la relation entre la réalité économique et le droit social.

 

Pour en savoir plus : www.cvml.com