Arrêts sur les arrêts maladies et congés payés : impact, enjeux et attentes

Article paru dans #MagCAPIDF, décembre 2023

par Juliette Giraudet, avocate, et Benjamin Desaint, avocat associé fondateur, avocat aux barreaux de Paris et de Montréal, FACTORHY avocats

Les arrêts du 13 septembre 2023 de la Cour de cassation ont fait grand bruit en ce qu’ils prévoient désormais une assimilation à du temps de travail effectif tous les arrêts de travail pour l’acquisition des congés payés.

  • Le droit positif français n’assimile pas les arrêts de travail à du temps de travail effectif pour l’acquisition des congés payés

Seuls les arrêts de travail pour accident du travail ou maladie d’origine professionnelle sont assimilés à du temps de travail effectif pour la détermination de la durée du congé dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an [1].

Certaines conventions de branches prévoient des assimilations plus favorables.

  • La CJUE considère que le Code du travail français n’est pas conforme au droit européen : tous les arrêts, quels que soient leur durée, doivent ouvrir droit à congés payés

Depuis 2009, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) assimile l’arrêt maladie à une période de travail effectif pour l’acquisition des congés payés[2]. En 2012[3], elle a considéré que le droit français était incompatible avec le droit de l’Union européenne[4].

Pour autant, les juges continuaient à appliquer les règles internes au regard de l’absence d’effet direct de la Directive[5].

Néanmoins, dans la mesure où la CJUE a considéré en 2018 que l’article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux, qui vise la directive, était d’effet direct[6], la Cour de cassation a exigé du législateur une mise en conformité du Code du travail avec le droit de l’Union européenne dans son rapport de 2018.

  • Face à l’inertie du législateur, la Cour de cassation a écarté l’application du droit français en raison de leur inconventionnalité

Par trois arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation a jugé que :

  • les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle acquièrent des droits à congés payés durant cette période[7];
  • les salariés placés en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie d’origine professionnelle acquièrent des congés payés au-delà d’une durée légale ininterrompue d’un an[8];
  • le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés[9].
  • Quelles sont les conséquences pratiques de ces décisions ?

Certaines juridictions du fond ont déjà appliqué ces nouveaux principes à des contentieux en cours (Cour d’appel de Paris, de Reims, de Versailles).

En application de cette nouvelle jurisprudence :

  • les salariés dont le contrat de travail a été rompu pourraient solliciter le paiement d’une indemnité compensatrice des congés payés acquis et non pris[10];
  • les salariés en poste ne peuvent pas solliciter le versement d’une indemnité compensatrice de congé payés[11] mais une augmentation de leur compteur de congés payés ;
  • nous pouvons espérer que les juges décident de ne pas accorder le versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la privation du congé[12], l’employeur n’ayant pas sciemment empêché le salarié à prendre ses congés acquis.
  • Dans quelles limites ?

La portée de ces revirements est difficile à appréhender car la Cour de cassation n’a apporté aucune précision quant au délai de prescription à appliquer ou quant à la durée du report possible et le droit français ne régit pas ce nouveau principe.

Certains axes de réflexion visant à contrôler l’impact majeur de cette évolution du droit positif doivent être envisagés par les entreprises :

  • se saisir de dispositions spécifiques de certaines conventions collectives ;
  • se saisir de l’information sur la période de prise des congés et l’ordre des départs en congés ;
  • le code du travail ne permet pas un report illimité des droits au congé annuel ;
  • le délai de prescription de 3 ans pourrait être appliqué[13];
  • le solde de tout compte est libératoire ;
  • le droit de l’Union ne garantissant que 4 semaines de congés payés, nous pourrions limiter à 4 semaines la régularisation ;
  • l’application d’une durée de report raisonnable de 15 mois ou d’un plafond de congés payés acquis comme le suggèrent la CJUE et la pratique d’autres Etats membres[14];
  • le risque de départage au conseil de prud’hommes sera important et une évolution jurisprudentielle lente.

Selon le taux d’absentéisme et le chiffrage du risque de rappel de congés payés, les entreprises n’ont pas intégré de manière uniforme ces décisions dans leurs pratiques :

  • pour le passé, certaines réalisent un traitement au cas par cas, d’autres ont fait le choix de régulariser jusqu’à 2009, ou uniquement sur 3 ans, d’autres ont provisionné le risque sans régulariser pour le passé ;
  • pour l’avenir, certaines ont d’ores et déjà paramétré leur logiciel paie ou ont procédé à une information individuelle auprès de leurs salariés sur l’acquisition des congés payés, et d’autres attendent une clarification de la part du gouvernement sur un projet de légifération visant à atténuer l’impact financier de ces décisions sur les entreprises.

[1] C. trav., art. L3141-5

[2] CJUE, 20 janv. 2009, n°C-350/06

[3] CJUE, 24 janv. 2012, n°C-282/10

[4] Art. 7, §1 de la Directive n°2003/88 ; article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux

[5] Cass. soc., 13 mars 2013, n°11-22.285

[6] CJUE, 6 nov. 2018, n°C-569/16, C-570/16 et C-684/16

[7] Cass. soc., 13 sept. 2023, n°22-17.340

[8] Cass. soc., 13 sept. 2023, n°22-17.638

[9] Cass. soc., 13 sept. 2023, n°22-10.529

[10] Cass. soc., 11 janv. 2011, n° 09-65.514

[11] Cass. soc., 11 avr. 1995, n°92-41.423

[12] Cass. soc., 12 juil. 2004, n°03-43.296

[13] C. trav., art. L.3245-1 ; C. trav., art. D.3141-7

[14] CJUE, 9 nov. 2023, n°C-376/22

 

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