par Guillaume Verdier, avocat associé chez TNDA
Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation française opérait un revirement spectaculaire de jurisprudence, reconnaissant aux salariés le droit à l’acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie. La Loi n°2024-364 du 22 avril 2024 est venue conforter cette règle issue du Droit européen, dans la limite de 24 jours par an pour les arrêts d’origine non professionnelle.
Mais tandis que ce même Droit européen consacrait également l’acquisition d’un droit au report des congés payés lorsque les salariés tombent malades pendant leurs vacances, la Loi du 22 avril 2024 n’a pas traité ce sujet.
Et la jurisprudence française retenait, avec constance, qu’il n’existait pas de droit au report des congés lorsqu’un salarié devenait malade au cours de ses congés payés. La solution de la Cour de cassation était fondée juridiquement, puisqu’elle faisait prévaloir la cause première de la suspension du contrat de travail, en l’occurrence le départ en congés.
Compte tenu de cette jurisprudence et de l’inertie du législateur français, la Commission européenne a ouvert le 18 juin 2025 une procédure d’infraction contre la France, la mettant en demeure de se mettre en conformité avec les dispositions de l’article 7 de la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, outre la jurisprudence de la CJUE.
Évitant à la France une éventuelle procédure en manquement, la Cour de cassation a décidé de modifier sa jurisprudence s’agissant de l’interprétation de l’article L.3141-3 du code du travail français (Cass. soc, 10 septembre 2025, n°23-22.732).
Désormais, un droit au report des congés payés est reconnu lorsque le salarié est arrêté pour maladie pendant ses congés payés. La seule condition étant que le salarié ait notifié un arrêt de travail valide à son employeur.
Dans un communiqué du 10 septembre 2025, la Cour de cassation a expliqué sa position en précisant qu’en droit de l’Union européenne :
- l’objectif du congé est de permettre aux salariés de se reposer mais aussi de profiter d’une période de détente et de loisirs,
- alors que l’objectif du congé maladie est de permettre aux salariés de se rétablir d’un problème de santé.
Telles sont ainsi, à ce jour, les positions du Juge européen et de la Cour suprême française. Mais une telle position, qui ne correspond pas au droit national écrit, s’appuie sur une interprétation de l’article 7 de la Directive n°2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. En réalité, aucun texte international n’a prévu de façon expresse un droit au report des congés en cas de maladie survenant pendant le temps des vacances. Le juriste peine à partager la décision de la CJUE créant un droit nouveau, tant cette dernière se fonde sur des considérations d’ordre général. En effet, la Cour de Justice de l’Union européenne a motivé sa jurisprudence en mentionnant que le droit au congé annuel payé « doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière », « expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités » pour en conclure d’autorité que « Le droit au congé annuel payé ne saurait, en troisième lieu, être interprété de manière restrictive » et « que la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs. Cette finalité diffère en cela de celle du droit au congé de maladie » (CJUE, 5e Chambre, 21 juin 2012, aff. C-78/11).
Si une intervention du législateur n’est pas impérative légalement, elle paraît fortement souhaitable pour cadrer les modalités d’application de ce nouveau droit (rétroactivité, date d’utilisation des congés reportés, obligations formelles de l’employeur, procédure d’information du salarié, délai d’envoi de l’arrêt de travail…).
Par ailleurs, un second arrêt a été rendu le même jour par la Cour de cassation, concernant la prise en compte des congés payés dans le seuil de déclenchement des heures supplémentaires (Cass. soc, 10 septembre 2025, n°23-14.455). Désormais, les congés payés doivent être intégrés dans le calcul de déclenchement des heures supplémentaires. La solution ne manque pourtant pas de surprendre, dans la mesure où la notion même d’heures supplémentaires renvoie à la rémunération d’un travail supplémentaire effectif et réel. Ce que l’article L.3121-28 du code du travail ne fait que retranscrire : « Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent ». La solution finalement retenue le 10 septembre 2025 par la Cour de cassation heurte en outre le principe selon lequel il n’existe pas de droit acquis à l’exécution d’heures supplémentaires. Quant au droit de l’Union européenne, la solution est là encore purement jurisprudentielle, la CJUE s’étant elle-même livrée à des interprétations extensives des textes (CJUE, 7e Chambre, 13 janvier 2022, aff. C-514/20).
Ces nouvelles règles nécessitent une adaptation pour les entreprises (prise en compte d’un coût social supplémentaire, mise en place de procédures de report de congés, suivi des absences et des arrêts de travail, paramétrage des logiciels…).
Une clarification législative serait bienvenue.


