« L’État doit mettre en œuvre un plan exceptionnel pour enclencher une dynamique de rénovation énergétique » Olivier Salleron, FFB

Entretien avec Olivier Salleron, Président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB)

La rénovation énergétique des bâtiments est l’un des principaux piliers de la transition écologique. Les dispositifs d’aides actuels vous apparaissent-ils suffisamment incitatifs tant pour les particuliers que pour les entreprises ?

Les deux principaux systèmes d’aides actuels sont MaPrimeRénov’ et les certificats d’économie d’énergie (CEE), chacun à hauteur d’environ 2 milliards d’euros par an. Ils permettent d’accomplir un nombre important d’actes de rénovation (changement pour une chaudière très performante ou une PAC, isolation …).

Toutefois, c’est nettement insuffisant en miroir des objectifs affichés par les pouvoirs publics pour tenir les engagements de la France à l’horizon 2050. Certes, le véritable succès de MaPrimeRénov’ s’avère encourageant dans le logement, avec près de 660 000 dossiers acceptés, ce qui va dans le bon sens. Mais il n’en va pas de même côté CEE, où l’on observe une baisse des primes due à la fois à un sous calibrage des objectifs de la 5ème période et des durcissements incessants des règles qui complexifient un dispositif pourtant vertueux et en réduisent l’efficacité. De plus, la stratégie nationale bas carbone (SNBC) ambitionne 600 000 rénovations globales de logements par an, on parle de 800 000 dans sa prochaine version. Or, aujourd’hui, on en fait péniblement entre 50 000 et 70 000, quasi entièrement dans le logement social. Parce qu’une rénovation globale (60 000 / 70 000 euros, voire plus encore) n’est pas à la portée de toutes les bourses et que sa rentabilité n’est pas assurée.

Quant au non-résidentiel, on manque toujours d’information sur la réalité du marché, peu aidé d’ailleurs. Le crédit d’impôt mis en place dans le cadre de France Relance a duré six mois, sans qu’il soit possible de lancer véritablement des opérations.

Nous ne croyons pas en l’obligation si elle n’est pas financée, y compris pour les ménages intermédiaires ou les entreprises de taille moyenne : elle ne sera pas appliquée, sera contournée ou débouchera sur le non entretien du parc, causera des mouvements sociaux… et finira par faire l’objet de dérogations. Si l’ambition écologique des pouvoirs publics va au-delà des discours, l’État doit mettre en œuvre un plan exceptionnel, en dizaines de milliards, pour enclencher une véritable dynamique de rénovation énergétique et d’éradication des passoires thermiques.

« Si l’ambition écologique des pouvoirs publics va au-delà des discours, l’État doit mettre en œuvre un plan exceptionnel, en dizaines de milliards, pour enclencher une véritable dynamique de rénovation énergétique et d’éradication des passoires thermiques. »

Quel gisement de croissance et de création d’emplois, la rénovation énergétique devrait-elle représenter au cours de la prochaine décennie ?

La question est très difficile. En première analyse, on peut écrire que 80 000 euros HT de travaux supplémentaires en rénovation permettent d’occuper un emploi de plus dans le bâtiment pendant un an.

Mais pour parler de création nette d’emploi, il faut aussi tenir compte de la situation du neuf, moins florissante aujourd’hui et beaucoup plus difficile encore à l’avenir selon la Stratégie Nationale Bas-Carbone.

En synthèse, je dirais qu’il y a sans doute plusieurs dizaines de milliers de nouveaux emplois à la clef dans le bâtiment, plus quelques centaines de milliers de transformation de postes internes au secteur, sous réserve que les objectifs se concrétisent.

Les entreprises du secteur disposeront-elles de suffisamment de main d’œuvre correctement formée ?

Depuis le printemps 2020, le secteur a créé plus de 86 000 postes. Et pas moins de 170 000 jeunes se préparent, du CAP au titre d’ingénieur, à travailler dans nos entreprises. Force est de constater que notre secteur attire déjà ! Certes, compte tenu des besoins, il faut continuer à attirer davantage de compétences dans nos métiers. C’est d’ailleurs pourquoi la FFB a lancé une grande campagne de promotion du bâtiment à la télé et sur les réseaux sociaux en collaboration avec des influenceurs de renommée.

Le secteur a toujours su s’adapter à la demande du marché. Alors, s’il se confirme que les marchés du neuf diminuent faisant l’objet d’un transfert vers les marchés de la rénovation, il faut rapidement se poser la question des moyens disponibles pour accompagner l’évolution des compétences des salariés qui travaillent spécifiquement pour les marchés du neuf. Il va falloir former une partie des salariés du secteur.

Il faut aussi qu’évoluent les contenus des formations des futurs salariés qualifiés. C’est aussi pour cette raison que la FFB s’est engagée aux côtés du CCCA-BTP.

Comment attirer davantage les jeunes générations vers les métiers du bâtiment ?

Les jeunes qui arrivent dans nos métiers quittent malheureusement trop tôt la profession. L’effort de fidélisation doit se faire par un renforcement de la qualité de l’accueil et un tutorat renforcé.

Ensuite, le Bâtiment recrute aussi des adultes, nous devons favoriser toutes les démarches qui facilitent les reconversions professionnelles vers nos métiers. C’est un travail de longue haleine, qui doit être collectif, où chaque dirigeant est partie prenante pour un objectif collectif.

« Nous devons favoriser toutes les démarches qui facilitent les reconversions professionnelles vers nos métiers. »

Dans quelle mesure les augmentations des coûts des matières premières et les difficultés d’approvisionnement affectent-elles le secteur ?

Elles érodent les trésoreries et fragilisent des entreprises par ailleurs en bonne santé, aux carnets de commandes bien garnis.

Il faut prendre la mesure des choses : le choc est violent, avec une progression des coûts bâtiment de 10 % au global entre le décembre 2020 et avril 2022, selon l’index BT01 de l’Insee. Et cette hausse s’explique quasi-intégralement par l’envolée de 22 % du prix des matériaux mis en œuvre. De fait, l’autre grand poste, le coût du travail est resté quasi-stable (+1%) sur la période, mais commence aujourd’hui à progresser à son tour.

Or, la plupart des marchés du bâtiment se signent à prix ferme et définitif d’une part, sont assortis de pénalités de retard d’autre part. Hausse des coûts et délais imprévus d’approvisionnement constituent une double peine pour les entreprises de bâtiment.

Les mesures prises par le gouvernement lors de la crise sanitaire, notamment le PGE, ont permis de faire face dans un premier temps. La situation s’avère aujourd’hui plus difficile. D’ailleurs, la dernière livraison des comptes trimestriels de la Nation par l’Insee relève une nette érosion des marges dans la construction au premier trimestre 2022.

Il faut évidemment ajouter que cette envolée des coûts se traduit en hausse des prix, avec un risque de désolvabilisation de la clientèle, donc de perte d’activité à moyen terme. Le chemin de crête ressort périlleux.

C’est pourquoi nous demandons à la fois un effort partagé tout au long de la filière (avec de la modération dans les hausses de prix à l’amont, une juste indexation des marchés à l’aval), mais aussi un accompagnement public sous forme d’indexation des aides au logement et d’allongement de la durée de remboursement des PGE.

 

Paru dans #MagCAPIDF