Stéphanie Gicquel, sportive de l’extrême, exploratrice, auteure

Être soi-même et prendre sa place, aujourd’hui, et chaque jour

Crédit photo : @Crenel

On me demande souvent ce qui a été le plus difficile : courir un marathon au pôle Nord par -30 °C, s’entraîner pour devenir championne de France d’athlétisme, courir plus de 240 kilomètres en moins de vingt-quatre heures lors des championnats du monde d’ultrafond et intégrer le top 8 mondial, réaliser une expédition en Antarctique à pied sur 2045 kilomètres en 74 jours par -50 °C, courir sept marathons en sept jours consécutifs sur chacun des continents.

Et pourquoi après des années d’études en philosophie, en économie, en droit, et autant d’années passées à exercer avec passion et engagement mon métier, alors que j’étais confortablement installée dans un bureau, les prêts étudiants remboursés, j’ai décidé de tout plaquer pour entreprendre et vivre d’exploration polaire, d’aventure et de sport. De changer de vie.

La difficulté est une notion relative. Les chiffres, seuls, ont peu de sens. Je ne suis pas adepte de la surenchère. Au contraire. Il aurait été plus difficile de ne pas suivre mon cap, de porter le lourd regret du renoncement à devenir soi, le pionnier de sa propre vie.

Et je n’ai pas tout plaqué. Je n’ai pas changé de vie. Chacune des expériences vécues a été construite dans une forme de continuité. Dans le temps long. Quatre ans de préparation pour monter l’expédition avant de se lancer à travers l’Antarctique. Des semaines, des mois, des années d’entraînement méthodique avant d’être sélectionnée en équipe de France d’athlétisme.

On a tous une seule vie, et on ne peut pas en changer, mais elle est suffisamment longue pour que plusieurs moments de vie se succèdent, les uns après les autres, les uns derrière les autres. Non, il ne faut pas nécessairement tout concilier. Ni tout capitaliser. Au contraire, il est parfois vital de se lancer dans une nouvelle aventure, goûter ainsi la diversité du monde et se révéler dans cette succession de moments de vie, d’expériences de la vie.

Il ne s’agit pas d’effacer ce que l’on est devenu, mais de continuer à le façonner. Comme un sculpteur revient à son ouvrage pour creuser un à un les sillons qui donnent vie au corps de pierre.

Notre faculté de changement et d’adaptation est une grande richesse. Une richesse que chacun porte en soi et qui est donc à la portée de tous, dès lors qu’on ne s’obstine pas à la chercher ailleurs, divertis éperdus, dans le seul profit immédiat d’une société de consommation, de possession, de capitalisation, où le sens de l’effort s’endort dans un perpétuel confort, où la science allonge la durée de vie moyenne, mais l’espérance de vivre se consume bien trop tôt.

Un changement, une expérience nouvelle est un chemin pour apprendre sur soi et sur le monde autour. Surtout pour celles et ceux qui chutent, se relèvent et persévèrent quand la distance s’allonge.

Alors certes, prendre sa place, être soi-même, est un effort de chaque jour et, dans bien des domaines encore, cet effort est plus soutenu encore lorsqu’il se conjugue au féminin.

Mais peu importe le temps qu’il faudra. Peu importe la probabilité. Quand on se lance avec l’envie de bien faire et qu’on persévère jour après jour, la probabilité la plus infime, celle qui flirte avec l’impossibilité, peut devenir réalité.

Après avoir couru plus de 240 kilomètres en vingt-quatre heures lors des derniers Mondiaux avec l’équipe de France d’athlétisme, je me suis mise en tête la barre des 250 kilomètres et je n’ai pas compté les heures d’entraînement. Puis il y a eu cet accident, cette trottinette qui me percute, une rotule cassée en deux et la probabilité alors quasi nulle d’atteindre l’objectif malgré les encouragements du staff médical, du kiné, de l’entraîneur. On ne choisit pas toujours ses combats, mais on peut toujours choisir l’état d’esprit avec lequel on les mène et l’intensité qu’on y met. Les longs mois d’immobilisation sont passés, j’ai écrit un livre que j’ai intitulé « En mouvement » pour ne pas me laisser figer par les circonstances, j’ai consolidé la rotule et repris l’entraînement en travaillant deux fois plus. Il me reste quelques semaines avant les prochains Championnats nationaux et internationaux, et je ne lâche rien.

Même si cette probabilité reprend de l’épaisseur, elle reste très mince. Et c’est mieux comme cela. Car les certitudes sont parfois lourdes à porter. J’attendrai donc la fin pour m’en charger, quand je serai à bout de souffle. Sur une épreuve de 24 heures, c’est la 1440ème minute de course, cette ultime minute où les probabilités n’ont plus aucune importance. Parce qu’on porte alors la seule certitude qui compte : celle d’avoir tout donné.

 

Bio :

Stéphanie Gicquel est sportive de l’extrême et auteure. 

Diplômée d’HEC, elle a exercé pendant une dizaine d’années dans des cabinets d’avocats français et internationaux en M&A avant d’évoluer en tant qu’entrepreneure, exploratrice, sportive de haut niveau, athlète internationale, auteure.

Elle fait partie de la poignée d’explorateurs à avoir foulé le pôle Nord et le pôle Sud. Elle a notamment parcouru l’Antarctique sur 2045 kilomètres en 74 jours par -50 °C – la plus longue expédition à ski de randonnée sans voile de traction réalisée à ce jour par une femme sur ce continent (Guinness World Records). Sportive de haut niveau, elle est également championne de France et membre de l’équipe de France d’athlétisme, spécialiste de 100 km et d’ultrafond. 

Figure de l’adaptation en conditions extrêmes, elle participe régulièrement à des protocoles de recherche avec des chercheurs (INSEP, IRBA etc) sur la capacité d’adaptation du corps humain aux épreuves d’endurance et aux stress environnementaux notamment dans un contexte de réchauffement climatique. 

Femme d’engagement, elle est marraine d’un réseau d’entrepreneures Femmes des Territoires, lauréate du Choiseul Sport & Business, Prix Coup de Coeur du Jury des Trophées Sport & Management, marraine de Mots et Maux de Femmes, ambassadrice de Assist’ Sports Academy pour la reconversion des sportifs de haut niveau, membre du Comité d’Experts de Game Earth, elle soutient l’Association Petits Princes, et elle a fondé une association afin de sensibiliser les jeunes à la beauté des régions polaires, en particulier via des expositions labellisées COP21 par le ministère de l’Écologie.

Son troisième livre, « En mouvement » (Ramsay), vient de paraître en librairie. Elle intervient régulièrement en entreprises et dans les médias sur le changement, le bien-être, la résilience et sur les réseaux sociaux notamment LinkedIn dont elle a été nommée Top Voice.