La digitalisation de l’entreprise : Entretien avec Bruno Mettling

Fondateur du cabinet de conseil Topics

Dans votre rapport de 2015 « Transformation numérique et vie au travail », remis à la ministre du Travail, vous pointiez la difficulté grandissante des salariés à se positionner au sein de l’entreprise, face à cette révolution. Les choses ont-elles évoluées depuis ?

La situation a beaucoup évolué mais reste contrastée. S’agissant de la relation des salariés au digital, il subsiste une barrière technologique, notamment pour les salariés les moins qualifiés et les plus âgés. Embarquer l’ensemble des collaborateurs sans exclusive reste un levier clé pour la transformation culturelle qui se joue actuellement dans les entreprises. De même, on note une attention croissante à l’impact des outils digitaux sur l’équilibre vie privée vie professionnelle, ce qui est très positif.

Dans les entreprises, et notamment les grandes entreprises, des programmes d’accompagnement des collaborateurs aux enjeux et aux outils ont été mis en place. Après un effet de dramatisation intense sur la disparition des métiers liée à l’essor du digital, nous sommes entrés dans une phase d’anticipation, d’accompagnement des transformations, ce qui est également positif. Ma préoccupation reste forte concernant le réseau des PME/TPE qui ont encore beaucoup de difficultés pour poser (et financer) un diagnostic sur la bonne manière pour elles d’entrer dans la transformation digitale. Le rôle des réseaux consulaires est bien évidemment majeur en la matière.

Pour l’avenir, plus que jamais, le mot clé reste l’anticipation. Il est fondamental de prendre dès maintenant la mesure de l’impact de la robotisation et l’automatisation des tâches sur les emplois les moins qualifiés suite au déploiement des outils d’Intelligence artificielle notamment.

Au fond la digitalisation n’introduit-elle pas une nouvelle façon d’appréhender et d’agir ?

Tout à fait. Le digital transforme profondément l’environnement des collaborateurs et les modes de fonctionnement au sein des entreprises. Lieu, temps de travail et lien hiérarchique, autant d’éléments constitutifs du contrat de travail qui sont fortement bousculées. Entre télétravail, espaces collaboratifs, lieux connectés et multiplicité des outils, on voit émerger des conditions de travail plus flexibles, l’intensification des interactions entre collaborateurs et le développement de modes de travail plus coopératifs, plus transversaux.

Pour que les effets positifs du digital se propagent, il ne faut pas perdre de vue le rôle clé du management qui doit, lui aussi, faire son aggiornamento. Des relations fondées sur la confiance et le feed-back plutôt que sur le contrôle intensif permettent d’installer une culture de la responsabilité et de l’autonomie dans les équipes. Ces changements vont plus loin. La culture digitale, c’est aussi encourager les collaborateurs à être plus autonomes dans leur propre parcours professionnel. Les entreprises ont tout intérêt à assurer en interne la promotion des dispositifs tels que le CPF (compte personnel de formation) ou le dispositif de reconversion et de promotion par l’alternance (Pro-A).

Et c’est là que l’on en revient au sujet de l’anticipation des impacts du digital sur l’emploi. Je suis convaincu que la démarche vertueuse intègre les compétences. Identifier celles qui vont complètement disparaître, celles qui pourront être automatisées, celles qui devront être renforcées et chercher à identifier celles qui vont émerger. En pilotant ces pools de compétences, les RH peuvent travailler sur des viviers de collaborateurs et proposer des programmes d’accompagnement et de développement plus pertinents.

Les enjeux sont prioritaires : au niveau des collaborateurs, c’est toute la problématique de l’employabilité qui est en jeu ; au niveau de la collectivité, et la crise des Gilets Jaunes nous le rappelle, c’est la question de l’avenir de la cohésion sociale qui se pose et enfin, c’est réellement le sujet de la compétitivité de nos entreprises qui est en jeu.

La digitalisation qui favorise l’apparition de nouveaux outils de participation et de consultation au sein de l’entreprise, peut-elle être l’occasion de moderniser le dialogue social ?

Sur le fond, cela implique de réinventer le dialogue social. A titre d’exemple, certains projets digitaux nécessitent l’implémentation de tests, de POC (proof of concept) qui n’ont pas le même timing que celui du calendrier social. Dans ce contexte, certaines entreprises ont signé un accord avec leurs partenaires sociaux pour se « contenter » d’une information au lancement du test et avec l’engagement d’une information-consultation si le test est un succès et qu’un déploiement est envisagé.

Sur la forme, les outils digitaux rapprochent considérablement les différentes parties prenantes. Pour les entreprises, possibilité de consulter les salariés, d’organiser des référendums, d’informer plus rapidement en sortie d’instances…. Pour les syndicats, la communication et l’action syndicale sont plus simples, plus directes, plus massives pour toucher au-delà des adhérents.

Il me semblerait toutefois très dangereux d’avoir la tentation de court-circuiter les syndicats. Ces corps intermédiaires demeurent plus que jamais des partenaires pour conduire les nombreuses et nécessaires transformations dont nos entreprises ont besoin.

Comment allier transformation digitale et mutations sociales, au service d’une performance durable ?

Pour commencer il faut y croire ! A titre personnel, c’est le credo que j’ai porté en entreprise en tant que dirigeant et que je continue de porter auprès de mes clients.

Les entreprises peuvent décider de réallouer une partie des gains de productivité -tirés de l’automatisation, de la robotisation- pour accompagner les collaborateurs de manière soutenue dans la formation, l’adaptation de leurs compétences ou encore la création de nouveaux espaces de travail.

Et quand des décisions inévitables conduisent à envisager des restructurations, je conseille à mes clients de travailler encore plus étroitement avec leurs partenaires sociaux sur une feuille de route commune peut favoriser l’émergence de solutions, certaines impactantes pour certains collaborateurs, socialement responsables.

En savoir plus : www.topicsconseil.com

Paru dans CAP’IDF N°67