Pas de droit à l’oubli pour les procès-verbaux d’infraction de l’inspection du travail

par Rémy DOUARRE, avocat à la Cour

remy_douarrePlusieurs années après un contrôle de l’Inspection du Travail, l’entreprise et/ou son dirigeant est (sont) soudain cité(s) à comparaître devant un Tribunal Correctionnel pour y répondre d’une ou plusieurs infractions à la législation du travail. La convocation en justice est si tardive et la rédaction de la citation à comparaître si lapidaire qu’il est alors difficile d’identifier ce à quoi se rapporte exactement les faits reprochés. Explication.

Cela tient au fait que les Inspecteurs du Travail ne sont tenus par aucun autre délai que celui de la prescription triennale attachée aux délits pour mener leur enquête et rédiger leurs procès-verbaux d’infraction.

Par ailleurs, selon une jurisprudence déjà ancienne de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, les procès verbaux d’infraction de l’Inspection du Travail sont assimilés à des actes d’instruction et de poursuite au sens de l’article 7 du Code de Procédure Pénale et à ce titre interrompent la prescription de l’action publique. C’est ainsi que par le jeu d’actes successifs interruptifs de prescription une infraction à la législation du travail peut n’être jugée que six voire neuf années après les faits (3 années pour l’Inspection pour dresser un procès-verbal d’infraction + 3 années pour le Procureur pour mener son enquête préliminaire à dater de la réception du Procès verbal d’infraction + 3 années pour le Procureur pour poursuivre après le retour de l’enquête).

Défaut d’information
Certes, la loi du 22 mars 2012 (L.n° 2012-387art.55) contraint désormais l’Inspection du Travail à envoyer, préalablement à la transmission de son procès-verbal au Procureur de la République, une lettre informant le « contrevenant » de ce qu’un procès-verbal d’infraction a été dressé à son encontre avec indication des sanctions encourues. Pour autant, cette lettre ne contient aucune autre précision et le supposé contrevenant ne reçoit pas d’autre information et pas même le fameux procès-verbal d’infraction auquel se réfère l’Inspection du Travail et sur la base duquel l’enquête du Procureur sera diligentée. Notons au passage que si la loi du 22 mars 2012 fait obligation aux Inspecteurs du Travail d’adresser cette lettre d’information, l’article L 8113-7 du Code du Travail dans sa nouvelle rédaction a supprimé l’obligation qu’ils avaient de communiquer au contrevenant son procès-verbal en cas d’infraction à la durée du travail. Ainsi, après tant d’années écoulées, l’entreprise n’a plus le souvenir précis de ce qu’avait pu relever l’Inspection du Travail. Bien mieux, le chef d’entreprise est souvent persuadé soit que les faits sont prescrits, soit qu’ils sont passés à la trappe. C’est sans compter sur le fait que la mission de l’Inspecteur du Travail s’arrête à l’acte de transmission de son procès-verbal d’infraction au Procureur de la République (article 40 du Code de Procédure Pénale) qui lui seul a alors le pouvoir de reprendre l’enquête puis d’engager des poursuites.

Comment préparer sa défense ?
Si on ajoute au laps de temps écoulé le fait que l’entreprise n’est pas associée à l’enquête du Procureur, préparer sa défense n’est pas une mince affaire. En effet, selon l’article L 8113-7 du Code de Travail, les procès-verbaux d’infractions de l’Inspection du Travail « font foi jusqu’à preuve du contraire ». Or, rapporter la preuve contraire des années plus tard sans s’y être préalablement préparé peut devenir une véritable gageure. C’est pourquoi il est vivement recommandé, dans la foulée du passage de l’Inspection du Travail, de se constituer un dossier dans lequel y seront assemblés tous les éléments utiles (pièces contractuelles, correspondances échangées, fiches de formations, document unique d’évaluation des risques en vigueur, attestations diverses et rédaction d’un mémorandum le plus détaillé possible sur les faits etc.). À ce dossier seront jointes également les lettres en RAR dans lesquelles auront
été développés les éléments en réponse à la suspicion d’infraction avec, si possible, les pièces à l’appui. Ces correspondances permettront de prendre date, mais aussi de rectifier si nécessaire la portée et le sens des explications verbales parfois malhabiles fournies spontanément si l’entrevue avec l’Inspecteur du Travail n’a pas fait l’objet un procès-verbal d’audition contresigné (possibilité prévue à l’article L8271-6-1 du Code du Travail). Il faut par ailleurs dans la constitution de son dossier avoir présent à l’esprit que, selon la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, ne font foi que les « faits personnellement et matériellement constatés » par l’Inspecteur du Travail (Cass.Crim. 25 mai 1999 n° 98-83535). Ainsi, ne font pas foi les « déductions » d’un Inspecteur du Travail tirées de témoignages recueillis par le fonctionnaire. Pour une défense la plus efficace possible, il est vivement conseillé, à réception de la citation à comparaître devant le Tribunal Correctionnel, de se faire délivrer la copie de l’entier dossier sur la base duquel le Tribunal sera amené à se prononcer. La copie sera délivrée soit à l’avocat, soit au prévenu lui-même s’il en a fait préalablement la demande. En effet, la délivrance de la copie pénale du dossier directement
entre les mains du prévenu est de droit depuis un arrêt de la Chambre Criminelle du 2 octobre 1996 (Cass. Crim. n° 95.82.290). Si les procès-verbaux de l’Inspection du Travail ne bénéficient pas d’un droit à l’oubli, les procédures engagées dans les conditions décrites sont loin d’être conformes au principe du procès équitable. Reste donc à espérer que le législateur procède à une nouvelle rédaction de l’article L 8113-7 du Code du Travail en prévoyant la
transmission simultanée du procès-verbal d’infraction de l’Inspection du Travail au Procureur de la République, et au supposé contrevenant.

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Cabinet Tuffal-Nerson-Douarre & Associés
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